Dimanche 20 juin 2021

Comme ma fille est en voyage quelque part, elle m'avait laissé une procuration pour ce dimanche d'élections. Cela tombait bien car je ne savais pas vraiment quoi voter. J'ai fait confiance à la jeunesse et je suis passé dans nos deux bureaux de vote avant d'aller donner un coup demain à un copain, Laurent qui était en train de couler une dalle dans sa maison.

Il avait bien choisi son jour : le temps s'annonçait couvert, voire humide. Exactement ce qu'il faut pour le béton.

- Si tu le dit ! Avais je répondu au téléphone.

Donc à onze heures et des poussières, nous étions une dizaine autour d'une grosse bétonnière, à charger la gueule ronronnante de la bête avec du ciment, de l'eau et des graviers.

Laurent avait aligné les gourdes dans une glacière vers nous. Nous avions chacun la nôtre, que nous pouvions reconnaître à l'étiquette.

On commençait à remplir la fouille, en couvrant le hérisson et le treillis de brouettées grises, lorsque Laurent s'est absenté.

Nous avons continué. Luigi donnait le tempo. Surveillant en même temps le nombre de pelletées, la couleur du mélange et les mouvements de la taloche.

Puis nous avons vu arriver Laurent avec une boite en bois, laquée de noir. Luigi m'a fait signe de laisser la bouette puis il a jeté un gros seau d'eau dans la cuve de la bétonnière qu'il a arrêté. Après un dernier claquement, la couronne d'acier pleine de graisse s'est figée.

Apparemment seul Luigi qui était au courant. Il m'a pris par l’épaule et nous nous sonnes avancés vers la dalle que nous étions en train de couler. Laurent se tenait bien droit, les mains grossièrement lavée avec des filets de jus gris blanc sur les jointures.

- toute sa vie mon père n'a fait que de nous dire qu'un homme doit être aussi travailleur de ses mains que de sa tête. Qu’est ce qu'on a bossé avec mes frères et sœurs quand on était petit !

- même quand on rentrait tard le samedi, il fallait qu'on lève. Il y avait toujours un coup de main à donner.Vous pouvez pas savoir comme je l'ai détesté parfois.

Je connaissais un peu le père de Laurent. Je savais qu'il avait plutôt bien fait réussir ses enfants. Ils avaient tous une bonne situation, même le petit dernier, le caganis comme on dit à Marseille, qui était devenu réalisateur de documentaires.

- De toute façon, pour nous, il n'y avait pas le choix. Il y avait une chance à saisir et il fallait la prendre. C'était un fils de paysan. Il faut profiter des bonnes saisons.

J'ai regardé ses mains crispées sur la boite. Elles tremblaient légèrement, comme si un animal enfermé à l'intérieur poussait sur chaque face pour essayer de s'échapper.

- Vous m'avez tous appelé quand il est mort du Covid. J'avais prévu une grande fête, un grand repas. Mais bon.

Il a baissé les yeux.

- Je vois que ça avance a t'il dit. Si on est pas trop mauvais, l'apéro, c'est pour bientôt.

Nous avons tous souri.

- Il disait aussi qu'il fallait en finir avec « l'exploitatation capitaliste ». Avant d'aller trimer avec lui les dimanches de vote, il nous emmenait toujours avec lui. Ça nous amusait, car il se tenait dans le préau de notre école primaire. Comme quoi...

Laurent a pris une inspiration, a ouvert sa boite et l'a retournée au dessus de la fouille.

Une grosse poignée de cartes d'électeur s'en est échappée.

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