« Des vivants et des morts »

Sept ans qu'Alice et Arthur étaient morts. Je n'ai pas besoin de cocher ce jour particulier sur mon agenda, ni d'un rappel sur mon téléphone ; le jour dit, je me suis toujours retrouvé dans un coin du cimetière de Saint Ferjeux, à fixer sans trop savoir pourquoi les lettres gravées dans le marbre noir, parfois sous la pluie, parfois au soleil.

Cette année, je remarquai que la peinture commençait à s'effacer. Quelque chose disparaissait, sans bruit, malgré les fleurs toutes fraîches que je venais de déposer.

Un pressante envie de fumer me saisit ; mais je me retins, triturant dans ma poche le paquet entamé. Et alors que je pliais les genoux pour déposer un petit caillou sur le coin de la dalle, un groupe est passé prés de moi. J'entendais leurs conversations qui troublaient le silence du cimetière. En me relavant, je vis qu'ils s'étaient arrêtés un peu plus loin. Une vingtaine de femmes et d' hommes de tous ages se dispersèrent autour d'une tombe. L'un d'eux portait un pack de bières qu'il ouvrit en en déchirant le coté, et pendant qu'il les distribuait, deux autres commencèrent à se rouler des cigarettes.

Je m’approchai.

Celui qui distribuait les canettes m'en tendit une, je fis encore deux pas vers eux et la saisit machinalement. Nous levâmes le bras pour trinquer, les bouteilles nous envoyant des reflets vert sombre. La bière bon marché était tiède, à la fois douce et amère. Les cigarettes allumées déroulaient autour de nous une odeur de marijuana, peu agressive mais tenace.

Tout en buvant et fumant, ils racontaient des anecdotes, sans doute pour la centième fois, mais personne ne s'en offusquait, et au contraire, tous riaient de bon cœur.

Je gardai ma bouteille vide à la main, contre mon ventre et m'allumai une cigarette. Une femme sortit du cercle, s'avança et demanda le silence. L'homme qui buvait assis sur le bord de la tombe leva le poing, et le groupe se mit à chanter :

« Debout les damnés de la terre / debout les forçats de la faim / la terre tonne en son cratère / C'est l'éruption de la fin. »

Ainsi se passa le septième anniversaire de la mort d'Alice et Arthur. Je me promis, pour l’année prochaine, d'amener un bouteille de Touraine blanc. Leur préféré.

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