Dérèglement climatique : le confinement de tous les possibles ?

En ce début d’année 2020, une nano  particule microscopique infectieuse a mis en scène à l’échelle planétaire un scénario digne des meilleurs films de science fiction. Répondant au joli nom de Covid 19, il a imposé la quasi paralysie totale des activités humaines et le confinement d’environ 4 milliards d’êtres humains. Un silence surréaliste s’est abattu sur notre planète.  En quelques jours, quelques semaines, les mondes terrestre, aquatique, céleste, où l’homme régnait en maître et polluait abondamment, soudain désertés, se sont vu investis par une faune et une nature qui se réappropriaient leurs territoires.

La planète s’en est immédiatement porté mieux… 

La baisse des transports de 80 % pour l’aviation, 50 % pour les camions, et 30 % pour le transport maritime, la quasi-paralysie de l’activité industrielle et des transports particuliers, ont entraîné une réduction spectaculaire de l’émission de gaz à effet de serre (GES) au niveau mondial ( - 30 % de GES, tous confondus), selon le Haut Conseil pour le Climat. Les cartes journalières produites par le satellite Sentinelle ont révélé de façon incontestable cette baisse progressive de la pollution atmosphérique, tout au long du confinement. 

Pour le CO2, une étude de Nature Climate Space, fait état d’une baisse de 9%.au niveau mondial pendant cette période En Chine, à la fin février, c’est 25% d’émission de dioxyde de carbone en moins par rapport au même mois de l’année précédente. En France, après deux semaines de confinement, la pollution atmosphérique aurait baissé de 30 % à 50 %, selon les régions et agglomérations avec, à Paris une baisse de plus de 60 % d’émission de dioxyde d’azote. En Europe, la concentration de dioxyde d’azote a globalement chuté de 40 à 50 % en mars 2020. Selon le scientifique Rob Jackson, le bilan carbone pourrait baisser, au niveau mondial, de 5% sur l’année 2020, et selon l’AIE (Agence Internationale de l’Energie), plus optimiste, de.8% 

Ces résultats auraient pu être encore meilleurs pour ce qui concerne l’émission de CO2 au niveau mondial si le confinement n’avait eu un effet négatif lié à l’augmentation de l’utilisation de l’outil informatique (télétravail, télé-enseignement, échanges via les réseaux sociaux, vidéos, jeux en ligne, etc …): le site conso-globe.com estime à 70 % l’augmentation du trafic internet en Italie et à 50 % en France pendant le confinement. Si le numérique, selon le groupe de réflexion The Shift Project, a émis en 2019  4 % des GES du monde, il est évident que ces chiffres ont battu des records jamais atteints en ce début d’année 2020. . 

Seules les émissions de particules fines d’origine anthropique (liées à l’activité humaine) n’ont pas marqué une baisse aussi significative. Car même si les principaux responsables de cette pollution (combustion industrielle, cimenteries, transports…) ont nettement moins contaminé, l’agriculture a poursuivi les épandages d’engrais, les activités d’élevage se sont maintenues, de même que celle des incinérateurs, auxquels il convient d’ajouter l’incidence des chauffages individuels, de l’utilisation d’aérosols, etc … 

Cette très nette amélioration de la qualité de l’air (la plus forte diminution de pollution enregistrée depuis la seconde guerre mondiale.) a eu un indéniable effet bénéfique sur l’environnement en général, sur la qualité de l’air en particulier. Sur les humains aussi. Nombre de scientifiques et d’observateurs s’accordent à dire que le nombre de morts épargnés par cette amélioration a été supérieur au nombre de morts générés par la pandémie. 

Et le monde entier s’est pris à rêver d’une planète sans pollution atmosphérique, pollution qui contribue inexorablement à l’aggravation du phénomène de réchauffement climatique observé depuis des décennies, et constitue un des problèmes majeurs de l’humanité compromettant son bien-être et, à plus long terme, sa survie sur notre planète.


Un bénéfice durable ? 

Quel impact de cette crise dans la lutte contre le réchauffement ?

Les prévisions des climatologues, scientifiques, économistes sont globalement pessimistes quant à l’efficacité et la durabilité du bénéfice observé ces dernières semaines. .

« Ponctuelle et anecdotique», face au défi du réchauffement climatique, telle sera la baisse actuelle des émissions de GES selon Valérie Masson Delmotte, paléoclimatologue).

«Marginale et transitoire» selon le Haut Conseil pour le Climat. 

« Pas d’effets instantanés et suffisants » prévoit Jean Jouzel, climatologue et glaciologue. 

Les spécialistes du climat s’inquiètent en effet de « l’après crise sanitaire ». 

Même si la climatologue Corinne Le Quéré déclare : «A la fin du confinement on peut s’attendre à ce que les émissions se  rapprochent de leur niveau initial », beaucoup de spécialistes ne sont pas aussi optimistes et redoutent que, face à cette crise économique, financière et sociale mondiale sans précédent, , la nécessité de relance des économies mondiales n’entraîne une augmentation des émissions de GES qui ferait perdre le bénéfice observé en ce premier trimestre 2020. Cet effet « boomerang » s’est en effet déjà manifesté, après la crise financière de 2008, dès l’année suivante, avec une hausse d’émissions de 5%. 

Ces inquiétudes trouvent leur raison d’être quand on étudie les plans de relance élaborés par les différents pays, des plans qui visent à remonter au plus vite du chaos économique mondial. 

Ce sont «7.300 milliards de dollars de stimuli économiques annoncés, ces dernières semaines, par les gouvernements des pays du G20 » (Joseph Stiglitz, Nicolas Stern). Ces économistes de renom prévoient , sur les 300 mesures annoncées, que 4 % contribueront à l’aggravation de la situation climatique, 4 % pourront réduire nos émissions (développement de la voiture électrique), et 92 % de ces mesures n’apporteront aucune amélioration par rapport à la situation actuelle. Et donc, aucune perspective d’amélioration globale n’est à espérer…

Et de fait, dans différents pays, se multiplient les plans de relance économique pour les secteurs les plus touchés par la crise, lesquels sont souvent parmi les plus polluants ( !). Par exemple les entreprises pétrolières, gazières, aériennes, minières. Le Canada prévoit un plan de financement de 1,7 milliards de dollars pour soutenir l’industrie pétrolière et gazière. Pour les USA, ce sont plus de 2000 milliards de dollars qui vont être investis pour la relance (aides aux ménages et aux entreprises, et plus particulièrement les grandes entreprises telles l’automobile). Ils ont d'ores et déjà décidé d'assouplir leurs normes environnementales permettant aux raffineries, centrales à charbon ou usines chimiques de polluer, air et eau, sans aucun contrôle ni sanction. « Une mesure temporaire »,selon l'Environmental Protection Agency ( latribune.fr) …En Chine, pays responsable d’un quart des émissions anthropiques à l’échelle planétaire, «la reprise économique provoque un regain de l'industrie lourde : «on assiste à une augmentation de 4% des GES parmi les plus polluants » comme les particules fines, le dioxyde de carbone, de soufre, et l’ozone (numerama.com) Qui plus est, la Chine, prévoit la création de «8 centrales électriques à charbon qui s’ajouteront aux 206 centrales déjà planifiées », ainsi qu’un développement conséquent du réseau routier (euractiv.fr). En Europe, » la Pologne et la République Tchèque proposent, au nom de la relance économique, de mettre fin au Pacte vert européen ». (actu-environnement.com)…

Alors bien sûr, quelques efforts allant dans le sens d’une amélioration des émissions se font jour. La Chine va développer de nouvelles infrastructures telles les « villes intelligentes » dotées de la 5 G, et des trains interurbains à grande vitesse. Les USA, dans le plan de relance Pelosi (3.000 milliards de dollars) fixe une condition environnementale (la seule ?) : les compagnies aériennes doivent réduire leurs émissions de moitié d’ici 2050. 

Ces quelques exemples de mesures environnementales vont certes dans le bon sens. Toutefois elles risquent d’être bien insuffisantes pour atteindre les objectifs de neutralité carbone à l’horizon 2050. Le risque est grand de voir ces multiples plans de relance , avec un coût exorbitant, déboucher sur un « verrouillage des politiques de décarbonation » (Haut Conseil pour le Climat) et de craindre que l’urgence climatique ne passe qu’au second plan. Ce sont des mesures structurelles qui doivent être mises en place, et la crise actuelle devrait être l’occasion de les mettre en œuvre. «Le monde doit combattre le réchauffement climatique avec la même détermination que la pandémie de Covid-19, a demandé l’ONU, avertissant que la crise climatique n’a pas disparu et menace toujours des millions de gens» (ledevoir.com). 

La mise en place d’une véritable politique environnementale et climatique, avec des réformes structurelles profondes, relève bien évidemment d’une volonté indéfectible des gouvernements, des politiques, qui pour la plupart à ce jour, ne voient le salut de l’humanité que dans le renforcement du système économique planétaire actuel. 

Mais c’est par une prise de conscience généralisée impliquant l’ensemble des citoyens du monde, l’ensemble des sociétés civiles, individus, collectifs, associations… appuyés par les chercheurs, les scientifiques, climatologues, économistes du monde entier,… c’est par le poids de tous ces acteurs que nous ferons entendre nos revendications, nos aspirations à un monde plus respectueux de l’homme et de l’environnement, et à cette «transition verte» qui est sans doute la seule réponse que nous pouvons apporter à l’urgence climatique qui menace notre planète.

Et pour conclure, pour ceux qui continuent à penser que l’économie est la fin de toute chose, on peut rappeler une phrase de François Gemenne, chercheur et membre de du GIEC ( Groupe  d’experts Intergouvernemental sur  l’Evolution du Climat) : «  Ce qui est dramatique, c’est d’installer l’idée que l’environnement est l’ennemi de l’écologie ».

Gisèle Ghiglion   

de Citoyens Loue Lison

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