Ces idées que nous avons tous

18 septembre

Je me souviens d'un spectacle, dans les années quatre-vingt. Sous le porche néo-classique de l’église Saint Pierre, une compagnie de théâtre avait dressé une guillotine annonçant une exécution publique. Une grande guillotine noire et luisante, avec son couteau brillant, bien au dessus de nos têtes.

J'étais encore jeune. Je savais que la peine de mort avait été abolie et j'avais en tête sur ce sujet quelques débats familiaux, par exemple à la confirmation d'Hubert, un neveu de ma mère. « Ils nous préparent une génération de tapettes » avait lancé le père d'Hubert. Mon père avait souri et retroussé ses manches. Et ma mère nous avait emmené jouer dans le jardin.

A l'époque on achetait les livres auprès d'un connaisseur, d'un spécialiste, d'une amoureuse comme on achète de la bonne bouffe chez un traiteur, du vin chez un caviste et que l'on soigne sa belle barbe chez un barbier. Et j'étais en chemin vers les Sandales d’Empédocle.

La foule s'était pressée pour l’événement, rejoint par quelques badauds innocents dont je faisais partie. Les bus de la CTB avaient du mal à se frayer un chemin sur la place du Huit Septembre lorsque les deux comédiens apparurent. Déclamant d'une voix forte, aux côtés de son assistante, un personnage qui devait être un procureur commença par nous féliciter de notre présence. Puis il détailla les mécanismes de l'invention du docteur Guillotin (je dus plus tard apprendre que s'il a laissé son nom à l'engin - il n'en est pas vraiment l'inventeur, ce sont les charmes des antonomases, m'aurait dit ma compagne), fit une démonstration avec une chou.

Le procureur tira sur la corde, la lame tomba en un éclair, un clin d’œil et coupa le légume en deux.

Bien proprement.

En fait, nous étions là pour juger un cochon. Un petit cochon rose, tout mignon. Le procureur nous demanda pour la forme si nous voulions qu'il soit exécuté. A part quelques mains levées, tout le monde resta muet et statique.

Mais aucune preuve ne vint contredire le jugement et il décida, malgré l'avis du peuple, au nom de la justice, de procéder à l’exécution. Le lourd couperet fut remonté, glissant froidement dans ses rails. L’assistante plaça le cochon dans le trou où  l'on pose le cou du condamné.

Il n'y eut tout d'un coup plus aucun bruit sur la place, à part les cris du cochon solidement maintenu. Quelques spectateurs crièrent. J'entendis un gamin demander s'il allait vraiment le faire. Et le parent ne sut que répondre. Il secoua la tête.

« non bien sûr »

Le procureur s'avança vers le coté de la guillotine. Il leva doucement le bras pour aller décrocher la corde qui retenait le couperet. Il me semble qu'il y eu comme un air de musique, je ne m'en souviens plus.

Je me souviens juste d'avoir fermé les yeux, au moment précis où le procureur relâchait la corde. Un chuintement, un rien, un souffle, puis un claquement rauque et sonore.

Un long murmure de soulagement suivi par des applaudissement me ramenèrent sur la place. Comme dans les tours de magie, le couperet n'avait pas atteint la tête du cochon que l'assistante libéra en riant.

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