Carte blanche, une très petite entreprise dans la tourmente

 À TABLE !

 Non ! Il ne s’agit pas d’un appel lancé par les goinfres capitalistes pour terminer la galette des Rois, évoquée dans un précédent billet de blog. Il ne s’agit pas non plus de l’appel lancé par Louis-Philippe… pardon, Edouard Philippe (Oui, je sais, la blague est un peu facile…) qui s’est avancé, armé de son 49-3 afin de bouffer notre régime des retraites. (Puisque c’est constitutionnel, vous n’allez pas vous mettre à râler ? Pire même, à descendre en masse dans la rue ??). Aujourd’hui, alors qu’Emmanuel Macron a répété moult fois que « ça couterait ce que ça couterait » quand il a annoncé le début du confinement, que des mesures seraient prises afin de limiter la casse pour les plus fragiles économiquement, j’ai peine à le croire. Et les dernières mesures qui visent à autoriser les patrons à faire travailler les salariés 60 heures par semaine n’annoncent pas du bon pour le droit du travail. Affaire à suive et à régler quand le covid 19 sera éradiqué, ou mis en sommeil…

Alors ? Ce À table ?

Il s’agit de l’histoire d’une très petite entreprise, à Chaucenne, dont l’objectif est de faire manger aux enfants de certaines écoles, des produits bio, locaux, cuisinés avec amour, en pensant à leur bien-être et à leurs papilles. Quand j’ai rencontré Romain, nous n’étions pas encore en confinement. Ce qu'il m'a raconté est plus qu’une histoire puisqu’elle a débouché sur une réalisation concrète, Carte Blanche. Seulement voilà, ça risque bien de tourner au cauchemar. À cause d’un virus, à cause aussi de politiques environnementales assassines, à cause de décisions politiques absurdes, à cause du fait que les « puissants » privilégient l’argent à l’humain, à cause…

Construire une monde meilleur

Romain Marion fait partie de ces gens qui s’obstinent à construire un monde meilleur, parfois contre vents et marées. Qui agissent. Je vais vous parler de lui. Avant, encore un autre petit préambule.

À table ! Participer au bien-être et au bonheur des enfants

À table ! C’est le cri de ralliement des familles, ou des amis, autour d’un bon, ou moins bon repas. Le cri annonciateur d’un moment de convivialité. Je ne vais pas verser dans le sirupeux au sujet de ces repas qui tournent parfois à l’aigre plus ou moins doux. Michèle Tatu pourrait nous parler d’un fameux repas, celui du film Festen, sorti en France en 1998. Le repas organisé pour fêter les 60 ans du père de famille tourne au vinaigre, après que le fils ainé se soit levé pour lever le voile sur de terribles secrets… de famille. Consultée, Michèle Tatu recommande La grande Bouffe, ou Le festin de Babette, inspiré d’une nouvelle de Karen Blixen, ou encore The Lunch-box… La bouffe, la nourriture, manger… mobilisent les énergies mentales, pratiques, symboliques, artistiques… On peut aussi regarder Le repas de noce ou La noce paysanne, un tableau de Pieter Brueghel peint en 1567 ou 1568… Ses repas, Romain Marion les veut heureux, savoureux. Il veut surtout participer au bien-être et au bonheur des enfants, même si ce n'est que pour un court instant.

À table !

Dans ce billet de blog, il était question de passer à table, dans certaines cantines à proximité de Besançon. Pas n’importe quelles cantines. Celles approvisionnées par Carte blanche, une société par action dirigée par Romain Marion.

L’homme n’est pas né avec une cuiller en argent dans la bouche, à l’instar de Pip, le héros de Dickens dans Les grandes espérances, et son enfance, comme celle de Pip, n’a pas toujours été facile, sans en dire plus. S’il a vu le jour en Bretagne, c’est à Besançon qu’il obtient un Bac L, au lycée Pasteur. Passé le Bac et sans soutien, il doit travailler. Ce sera dans la restauration, mais « chez les autres ». Il commence à se forger une expérience de ce qu’est ce milieu et de ce que sont ses exigences. Une période pas toujours facile mais Romain a lui aussi, de grandes espérances, même s’il ne sait pas encore les formuler ni comment les réaliser.

Que veux-tu faire ? De grandes espérances

Grandes espérances, et aussi l’œil et le regard ouverts. Ce qui lui permets de ne pas louper une belle rencontre, avec Gérard, un homme plein de sagesse qui deviendra son mentor. Gérard lui loue, pour une petite somme, un logement. Quand il connait bien Romain et qu’il a constaté que ce dernier veut avancer dans sa vie, il l’aide à réfléchir sur les options professionnelles qui pourraient lui convenir. « Que veux-tu faire ? » Romain hésite entre devenir professeur d’allemand, ou travailler dans l’écoconstruction, ou devenir cuisinier. Gérard guide Romain vers ce qui paraît être la meilleure solution, au regard de ses compétences, de ses expériences… Ce sera la cuisine. Il trouve un travail dans une brasserie, à Ornans, pendant 6 mois. Il s’inscrit au CFA et passe son CAP, puis un Bac pro tout seul. C’est dire sa détermination, d’autant qu’on le sait, les conditions de travail dans la restauration ne sont pas faciles. Il passera également un BTS en candidat libre.

Ces expériences et diplômes lui permettent de travailler dans de « grandes maison ». Il sera, par exemple, directeur de restaurant aux Salines Royales d’Arc-et-Senans.

De la cuisine et du théâtre

Curieux de tout, il suit, pendant un temps, une troupe de théâtre – Le cri du moustique – qui souhaite réanimer la vie de certains territoires trop éloignés de la culture. Ouverts aux autres, Romain fait la connaissance d’un homme, parent d’élève à Geneuille. Soucieux de préserver la santé de leurs enfants, soucieux des équilibres de la terre et de la Terre, plusieurs parents souhaitent ouvrir une cantine qui ne serait pas alimentée par de la cuisine industrielle. Le projet, à force de discussions, prend forme. Une étude de faisabilité est faite. Comment concevoir ces nouvelles cantines ? Quels en seront les tarifs ? Quels produits ? Une maquette de 200 menus sur un an est élaborée, menus qui tiennent compte des équilibres nutritionnels, de la diversité des produits proposés, de leur qualité, de leur provenance. Il est aussi question d’un apprentissage au goût. La viande provient de régions de France ou de la région. Les poissons viennent des circuits de la pêche durable. Les œufs viennent de poules élevées en plein air. Les légumes sont issus de l’agriculture biologique. Le projet vise à redonner une taille humaine et une qualité gustative aux cantines. Qui n’a pas entendu ses enfants dire trop souvent : « Beurk ! C’était dégueulasse ! »

Carte blanche, un terrain d'expérimentation

Il s’agit aussi d’envisager Carte Blanche comme un terrain d’expérimentation, de se développer avec le local en frontière, d’envisager la création d’un réseau attaché à la transition écologique et sociale, vers du mieux-faisant. Actuellement (en 2020), Romain (qui ne se salarie pas encore) travaille avec un cuisinier, Pierre, ingénieur en qualité de l’eau À cette petite équipe dynamique, s’ajoute une nutritionniste-diététicienne, qui suit le projet. Carte Blanche, fournit trois écoles dans les environs de Geneuille.

Romain Marion est attentif aux retours qui lui sont faits par le personnel des cantines ou par les enfants. La progression de Carte blanche doit voir son activité passer de 130 couverts à 400 couverts, en un an pour se maintenir dans la durée. Le modèle proposé par Romain Marion est reproductible. Je lui souhaite de voir le même développement que celui des jardins de Cocagne dont Factuel.info s’est fait l’écho, dans la partie journal. Seulement voilà, le covid 19 est passé par là ! À ce jour, 20 000 euros de recette annulés, rien que pour le premier mois de confinement, et nul ne sait quand les enfants retourneront à l’école, donc à la cantine. Romain Marion ne baisse pas les bras. Fidèle à ce qu’il est, il participe à une distribution de légumes frais bio de Gy (70), dans les communes autour de Chaucenne.

Quand la crise sera passée, je retournerai voir Romain. Peut-être pourrons nous l’aider à se remettre à flot ? Car c’est sûr, dans la suite de cette crise, nous ne pourrons compter que sur nous-mêmes, sur notre capacité à nous mobiliser et à exiger que ceux qui auront le plus souffert soient aidés à la mesure de ce qu’ils auront perdu.

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