Besançon, sur un blocage des gilets jaunes

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Samedi 17 novembre 2018, je décide de me rendre sur un point de blocage des gilets jaunes aux environs de Besançon. Je choisis les ronds-points de Beure et de la voie des Mercureaux. Je m’y rends en vélo, c’est à 6 km de chez moi, en direction de Quingey. Les 2 ronds-points sont distants d’une centaine de mètres l’un de l’autre.

Sur place l’ambiance est plutôt bon enfant. Un peu plus d’une centaine de gilets jaunes a mis en place un barrage filtrant. Les voitures sont arrêtées pendant 2 à 3 minutes, les gilets jaunes engagent la conversation par les fenêtres ouvertes, félicitent celles et ceux qui ont un gilet sur le tableau de bord pour affirmer leur solidarité (la majorité), rappellent à celles et ceux qui l’ont dans le coffre que le code de la route oblige à ce qu’il soit accessible, dans l’habitacle de la voiture. Les discussions sont calmes, et les voitures peuvent passer, souvent par groupe de 5 ou 6. Une ambulance, avec klaxon et gyrophare, est orientée en double file pour remonter le blocage, guidée par les gilets jaunes et les quelques gendarmes présents. Ceux-ci sont peu nombreux, avec 2 véhicules. Les rapports avec les manifestants semblent bons. Au cours d’une conversation l’un des gilets jaunes me glissera : « ils sont avec nous ». Plus tard c’est la voiture d’un jeune couple sortant de la maternité avec leurs jumeaux nouveau-nés qui sera guidé en double file, bénéficiant d’un « saute blocage ». Ce sera aussi le SAMU, la conductrice agitant un gilet jaune par sa fenêtre ouverte, ouvrant la voie à une ambulance de Valdahon, qui passera le blocage. Sur la vitre arrière des lettres collées : « en grève ». Oui les urgences du CHU (tout proche) sont en grève perlée depuis le 9 octobre.

Selon les moments les files de voitures en attente sont plus ou moins longues, avec aussi en ce samedi après-midi des camions immatriculés en France mais aussi allemands, espagnols, et roumains, polonais. Ces derniers suscitant des réflexions sur les travailleurs détachés et la concurrence « libre et non faussée » que ça représente. Cependant aucune vindicte particulière à l’égard des chauffeurs, juste quelques réflexions amères entre gilets jaunes.

Les gilets jaunes sont de tous les âges, et les femmes sont nombreuses. Quelques jeunes sont en moto, et assurent des va et vient sur les routes d’accès aux giratoires pour vérifier que tout se passe bien. Deux d’entre eux arborent un drapeau bleu-blanc-rouge accroché à l’arrière de leur moto. Il y a parfois des « roues arrière » généralement saluées par des applaudissements et quelques cris.

Les discussions avec les « gilets » sont instructives. L’un dit être retraité et craindre pour l’avenir de ses enfants, l’autre, cinquantenaire, dit avoir fini de payer sa baraque, mais s’inquiète pour les autres, qui ont des emprunts à rembourser. Tous disent l’obligation de prendre leur voiture pour leurs déplacements.

Sont présents quelques « indépendants et artisans ». L’un d’eux, peintre, a accroché un grand drap sur le côté de sa camionnette sur lequel il a peint : « On en a gros ». Ça fait réfléchir ! C’est lourd de sens !

Les draps, panneaux, cartons, affichettes, bricolés avec de la peinture ou des feutres sont nombreux et divers. Les slogans sont très souvent bien vus, parfois percutants : Qui sème la misère récolte la colère ; Taxer les actionnaires et moins les prolétaires ; Pour une politique écologique juste, pas de racket ; Rendez aux petits leur pouvoir d’achat ; Stop aux dépenses faramineuses ; Arrêtez les taxes, Stop ; Donnez l’exemple ; Trop c’est trop, stop Macron. Et puisqu’on n’est pas très loin de Lons le Saunier, berceau de la fromagerie Bel : une tête de « vache qui rit » avec le slogan : Macron, la vache qui rit, quand les retraités se font traire, rendez-vous le 26 mai 2019. Allusion toute politique à l’élection européenne qui vient.

Seule affiche qui n’est pas faite à la main celle qui évoque Coluche : « Quand on pense qu’il suffirait que les gens n’achètent plus pour que ça ne se vende pas. Pour y arriver partageons… etc. »

CertainEs bloqueurs/ses se réchauffent autour d’un brasero. Ils/elles ont pique-niqué à midi sur ces giratoires. Ici pas de réflexions douteuses ou critiquables (agressives, racistes ou homophobes) comme il a pu en être rapporté ailleurs. Bon état d’esprit apparemment, même si certains sont venus en SUV (Sport Utility Vehicle) ces bagnoles massives, plus lourdes que les berlines, et qui consomment beaucoup de carburant. Mais c’est la mode, les constructeurs automobiles les ont promus et certains y passent leurs économies ; c’est peut-être une façon d’affirmer qu’on existe et qu’on n’est pas un moins que rien.

A ma question un gilet jaune répond : oui on reste là ce soir, on continue. Dimanche je suis donc repassé sur les mêmes ronds-points. Un seul était bloqué, celui des Mercureaux. Fiché en terre sur une bande d’herbe en bord de route on aperçoit un drapeau franc-comtois. Et toujours la camionnette « On en a gros ». J’aperçois aussi une caravane arrimée à une voiture. Le propriétaire a-t-il passé la nuit sur place ? Tout est très propre, aucun relief, aucun déchet laissé la veille. Le pique-nique n’a laissé aucune trace.

Lundi ça a continué, avec une cinquantaine de bloqueurs/ses comme la veille. Et toujours la camionnette qui a vraiment le cœur gros.

Mardi c’est fini, plus personne aux ronds-points. Pas facile de continuer beaucoup moins nombreux, dans une situation embrouillée, sans perspective claire, avec des soutiens faiblards ou encombrants comme ceux de diverses droites. L’un des bloqueurs m’avait dit dimanche : j’ai pris une semaine sans solde. Mais tous n’avaient pas la même détermination.

A bientôt j’espère, comme on dit à Besançon. A bientôt j’espère, c’est le titre d’un film de Chris Marker et Mario Marret, tourné en 1967 à Besançon, à l’occasion de la grève de la filature de la Rhodiaceta..

Et pour terminer, en bonus, un tract qui était distribué par les gilets jaunes sur le blocage de Valentin, près de Besançon, direction Vesoul en Haute Saône. (voir ici)

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