Bénévolés !

Les hold-up politiques et comptables sur le bénévolat doivent cesser. Le monde n'est pas une marchandise, les bénévoles non plus.

« Pris dans l’étau Eco, notre vocabulaire rétrécit. Chacun s’exprime à l’économie : il gère ses enfants, investit un lieu, s’approprie une idée, affronte un challenge, souffre d’un déficit d’image mais jouit d’un capital de relations qu’il booste pour rester bankable et garder la cote avec les personnalités en hausse »Regis Debray, Le monde diplomatique, octobre 2014..
Eh oui, l'économisme ambiant a tellement envahi nos esprits que peu à peu l'espace manque pour raisonner « ailleurs ». Et quand le vocabulaire rétrécit, il pourrait bien entrainer les idées avec lui, surtout les plus généreuses. Comme si nous avions abdiqué notre humanité aventurière, créative, sensible, affective, poétique, déraisonnable et subversive. Comme si nous étions tous d'accord pour que toutes nos activités puis nous mêmes, soyons transformés en flux marchands.
Saurons nous défendre les quelques rares espaces encore épargnés avant qu'il ne soit trop tard ?
Parmi eux, le bénévolat est un OVNI (Objet Volontaire Non Inféodé). Il y a un bout de temps que les idolâtres du tout marchand tournent autour. Mais depuis peu la ronde se fait de plus en plus pressante.
Après Laurent Wauquiez visant les chômeurs il y a quelques années, voilà que le Conseil Départemental du Haut Rhin, veut obliger les allocataires du RSA à donner 7 heures de bénévolat par semaine. Pourquoi en effet ne pas compliquer un peu plus le parcours de celles et ceux qui se démènent chaque heure de chaque jour pour faire face aux difficultés d'une existence précaire ? Pour les handicaper un peu plus ? Pour les exclure un peu plus d'une citoyenneté libre de ses engagements ? Pour ajouter à la surveillance ambiante celle des bénévoles potentiellement incontrôlables ?
Pendant qu'on y est pourquoi ne pas étendre le dispositif à tous les profiteurs supposés ou fainéants fantasmés : chômeurs, allocataires du RSA, retraités ? Sans compter les congés maladie, ça fait plus de 20 millions de...
On ne sait même plus comment les appeler puisque l'obligation qui leur serait imposée évacuerait de fait l'engagement volontaire personnel qui définit le bénévolat. On pourrait oser : « bénévolés » ! Et entrer en résistance contre ce détournement scandaleux de bien commun.
D'autant que le monde associatif s'y met lui aussi. Dans les assemblées générales, dans certains conseils d'administration, s'appuyant sur la fascination pour la gestion selon le modèle de l'entreprise, répondant à l'injonction de professionnalisation et aux sollicitations des commissaires aux comptes, l'idée que le bénévolat aurait une valeur comptable fait son chemin. De là à en faire une composante du compte de résultats, il n'y a qu'un pas. Franchi ici où là « parce que ça renforce la crédibilité vis à vis des financeurs ».
Mais la transparence économique, ce n'est pas si simple. C'est une logique qui va bien au delà du hochet pour bénévole sous influence. Elle suppose d'avoir réglé parmi bien d'autres, la question de la valeur. Et on imagine les discussions : « valoriser au SMIC, oui, enfin peut-être car toutes les fonctions ne se valent pas ! Il y a les membres, les administrateurs, le bureau. Il va falloir une grille de valeurs. Et si on hiérarchise, certains vont revendiquer l'égalité bénévole. Faut il comptabiliser les cotisations sociales et les impôts virtuels ? » Tout naturellement, des syndicats risquent d'émerger avec des risques de grèves, certes peu élevés mais possibles bien que ce ne soit pas vraiment dans la culture bénévole. Et puis quand on sait que la plupart des réunions se tiennent le soir et durent jusque tard dans la nuit, les « heures sup » constituent un trésor pour gonfler un peu plus les comptes selon le fameux slogan : « plus d'heures bénévoles plus de bénévolés ». Pour mieux afficher l'importance de leur contribution à l'intérêt général, on pourrait même faire exploser les compteurs, en valorisant l'action des responsables associatifs à hauteur d'un PDG du CAC 40. Ne serait-ce pas une contribution significative au PIB qui piétine et à la croissance qui s'est évaporée ? Enfin, attention, nous sommes dans l'Europe de la concurrence « libre et non faussée », il va falloir se protéger du « bénévole Polonais ». Il risquerait bien de déstabiliser notre bel édifice associatif National au détriment du « Bénévole de souche » !

Les hold-up politiques et comptables doivent cesser. Il n'y a aucune justification à déposséder le bénévole de l'intention et de la nature « essentiellement » gratuite de son acte. Il n'y a aucune raison pour qu'on le prive de partager avec d'autres le plaisir de contribuer à l'oeuvre collective qui vise à faciliter le difficile exercice de la vie ensemble, dans une société apaisée.
L'acte bénévole est un acte de liberté individuelle volontaire gratuit et inaliénable. Il doit le rester.
« Le règne universel d’un capitalisme rentier et spéculatif qui généralise la norme marchande et spéculative à toutes les sphères de l’existence sociale est une catastrophe environnementale, morale, climatique, sociale et économique »Alain Caillé : « La vie associative » décembre 2014, N° 22, page 22 Sociologue, professeur émérite de sociologie à l'Université Paris Ouest Nanterre La Défense. Il dirige la Revue du MAUSS depuis sa fondation. .

Commentaires

  • Merci à Jean-Louis Genest

    Merci à Jean-Louis Genest pour cette contribution à la réflexion socioéconomique.

    A vot’ bon cœur, messieurs les négociants, à côté du bénévolat qui commence à être marchandisé, contraint, il reste le don ( sauf celui qui doit être déclaré au fisc, et jusqu’au don de la vie avec la GPA), l’entraide (gare au travail au noir!), les gestes d’amitié, d’amour, les idées, la part de plus en plus grande de cerveau disponible, le partage d’informations, de réflexion, la lecture, l’alerte, les sourires, les regards, les mains tendues, le respect, la politesse, la gentillesse, etc.

    Gardons les yeux, les idées et le cœur libres et ouverts aux autres citoyens de ce monde.

    DL

  • commentaire 2 :

     

    Commentaire 2 :

    La monétarisation du bénévolat, ou le bénévolat contraint, répond parfaitement à la demande du patronat qui ne cesse de s’en prendre et de défaire toutes les lois sociales (et notamment celles issues du Conseil national de la résistance).

    « Il faut baisser le coût du travail « est la rengaine qui nous est servie à longueur de journée sur les médias. Ce serait en effet tellement mieux pour les patrons que les salariés acceptent de travailler sans être rémunérés, qu’ils offrent leur travail gratuitement !

    C’est ainsi que l’on privatise les services publics, l’école, la santé, les infrastructures de communication; on casse maintenant le code du travail, etc. On retourne à grand pas à l’Ancien Régime ou aux années de grande dépression où le social et les services publics étaient affaire de charité organisée selon le bon vouloir du prince et de la religion.

    Il est beaucoup plus simple de gouverner un peuple écrasé par l’ignorance, la misère et la servitude que de participer à la mise en œuvre d’une démocratie de citoyens éclairés et émancipés, réunis dans le but de construire une société solidaire, fraternelle, laïque , respectueuse de tous à égalité, ainsi que de la planète où nous vivons.

    Ce serait tellement mieux pour la poignée de profiteurs qui nous gouvernent que les milliards d’exploités que nous sommes soient abandonnés à la -concurrence / compétition / loi de la jungle- plutôt que d’être invités à coopérer pour le bien et le mieux-être communs.

    Le fameux modèle de plus en plus présent de « l’ubérisation de l’économie » n’est rien d’autre qu’un « capitalisme de passager clandestin qui exploite habilement les failles de la régulation publique et repose sur la monétarisation des activités gratuites, l’expansion de la sphère marchande sur la sphère privée. » Eloi Laurent

     

     

     

  • Malheureusement, ce n’est pas

    Malheureusement, ce n’est pas tout : prêter son appartement à des copains, véhiculer son voisin handicapé jusqu’au magasin… tout se « monétarise » au grand bénéfice de quelques « organisateurs » qui détournent ainsi l’esprit de service à leur seul profit pécuniaire. Et souvent avec la bénédiction des « modernes » de droite et de gauche qui voient là une avancée sociale vers la liberté !


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