Arrestation de Radovan Karadžić après douze ans

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La nouvelle de l’arrestation sans heurts, à Belgrade, de Radovan Karadžić, la découverte de son identité et son activité de substitution ces trois ou quatre dernières années, ont surpris l’opinion et les spécialistes à l’étranger, plus encore en Serbie. C’est aussi l’ex-chef militaire des Serbes de Bosnie, Ratko Mladić, que l’on attendait d’abord voir arrêté et extradé au Tribunal Pénal International pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) à La Haye.

L’évènement médiatique.

L’opinion, serbe en particulier, « s’est faite captive » de multiples rumeurs ces dernières années, alimentées par divers milieux. Au sujet de Karadžić, que l’on supposait plutôt aux confins montagneux de la Serbie, du Monténégro et de la République serbe de Bosnie-Herzégovine, on prétendait il y a peu qu’il bénéficiait d’une promesse d’impunité accordée par Richard Holbrooke le médiateur de Clinton, artisan des « accords de Dayton » en 1995.
Dans nos médias, la nouvelle de l’arrestation a fait la une. Le retour sur le drame des conflits yougoslaves et sur sa partie bosniaque est lapidaire. Leur explication ultime semble être la folie personnelle ou le projet quasi-diabolique d’un homme. Sans sous-estimer la part irréductible des maux, meurtres et destructions assurément décidés en conscience, il s’impose de donner à comprendre la source et la dynamique de ces conflits (on peut à cette fin conseiller de se reporter à l’ouvrage de Xavier Bougarel, « Bosnie, anatomie d’un conflit », Editions La Découverte, 1996).

Emergence du dirigeant Karadžić et rivalités.

Né et élevé dans un milieu rural au Monténégro, Karadžić s’installe à Sarajevo à seize ans et y devient médecin psychiatre en 1971. Il exerce localement puis dans la capitale yougoslave, Belgrade, à partir de 1983. Il a alors par deux fois maille à partir avec la justice. En 1984, il est inculpé puis libéré après onze mois pour détournement de fonds publics dont il se servirait pour construire une villa à Pale, près de Sarajevo, où sa famille est restée. En 1985, condamné à 3 ans de prison pour malversations, il n’accomplit pas sa peine (ces démêlées judiciaires restent floues, certains les ont présentées comme manifestations de répression du régime communiste, ce qui n’explique pas la peine non accomplie).

En 1987, Karadžić se réinstalle à Sarajevo. Depuis quelques années, il publie aussi quelques recueils de poésie. Il ne s’engage en politique que tardivement, en 1989, à la fondation du Parti démocratique serbe par Jovan Rašković, dont la ligne est anticommuniste et panserbe. Karadžić est élu très largement à la tête de la section du parti pour la Bosnie-Herzégovine, laquelle devient rapidement le représentant principal des intérêts serbes exclusifs.

Quand le référendum des 29 février et 1er mars 1992 (que les Serbes, « peuple constitutif » de la République,  boycottent en masse) conduit à la proclamation d’indépendance bosniaque, Karadžić annonce la formation séparée d’une « République serbe » (RS) dont il sera le Président. La tension entre communautés, entre dirigeants de celles-ci, factions armées et Armée populaire yougoslave (que Milošević gagne à la cause serbe et à son autorité), culmine jusqu’aux premières barricades autour de Sarajevo, aux sièges des villes, des enclaves, aux déplacements massifs de population et aux massacres (« nettoyage ethnique » que les forces serbes n’ont pas été les seules à mener, mais dont elles ont eu l’initiative majeure jusqu’à l’opération « Tempête » des forces croates et bosniaques soutenues par Washington à l’été 1995).

Les autorités de la RS ne sont pas monolithiques. Le chef de l’armée Ratko Mladić est quasi souverain à l’égard de ses troupes tout en étant lié aux instances militaires et de sécurité à Belgrade. Lorsque Milošević considére, sous le poids notamment des sanctions internationales, et après qu’il ait avalisé un plan de paix (du « groupe de contact » à la mi-1994) rejeté à Pale (fief de Karadžić), qu’il lui faut consolider ses acquis au risque de perdre la main, Karadžić se présente en rival, « véritable leader national des Serbes ». Certains responsables de l’opposition à Belgrade l’encouragent en ce sens ou aspirent à l’instrumentaliser contre le régime de celui que Français et Britanniques promeuvent alors comme « facteur de paix ».

Quand Mladić veut faire appliquer la politique conciliatrice de Milošević, Karadžić s’emploie à le faire désavouer publiquement et devant le Parlement de la RS. En août 1994, le Président limoge le chef militaire qui refuse de se démettre. Enfin, Milošević l’emporte en s’imposant comme le seul représentant des intérêts serbes et se rend à Dayton en novembre 1995.

Le TPIY, institué par le Conseil de sécurité de l’ONU, le 23 février 1993, inculpe Karadžić et Mladić le 25 juillet 1995 puis le 16 novembre,  après le massacre de Srebrenica. Les chefs d’inculpation comprennent « génocide » et « crimes contre l’humanité » et seront séparés pour les deux hommes puis reformulés en octobre 2002.

Les accords de Dayton réaffirment « l’obligation de toutes les parties de coopérer » avec le Tribunal de La Haye. Karadžić est mis à l’écart. La vice-Présidente, Biljana Plavšić le remplace le 30 juin 1996, entreprend de mettre en application les « accords » avant de se livrer au TPIY suite à sa propre inculpation. Karadžić est vu en public officiellement pour la dernière fois en juillet 1995 au nord de Sarajevo.

L’arrestation, douze ans après, dans la Serbie post- Milošević.

L’arrestation est liée à l’avènement récent d’une nouvelle équipe gouvernementale que le Président de Serbie, Ljubomir Tadić a constitué en « gagnant » la direction du Parti socialiste de Serbie (créé en 1990 par  Milošević) à une politique prioritaire affichée de poursuite de l’intégration européenne. Au lendemain de sa constitution, des changements ont eu lieu aussi à la tête des services secrets. L’Agence d’informations et de sécurité (BIA) voit venir à sa tête un jeune juriste (membre du Parti démocrate de Tadić et policier actif contre le crime organisé en province), Saša Vukadinović  qui affirme la nécessité d’un contrôle efficient des services par l’exécutif voire le Parlement et de l’arrestation prochaine des trois derniers fugitifs (Mladić, Karadžić et Hadžić).

Si la nouvelle détermination de Vukadinović demande à être éprouvée (il est en place depuis le 17 juillet), l’hypothèse a été formulée d’un zèle nouveau des agents du BIA (dont des secteurs étaient soupçonnés de soutenir les cavales) de manière à refonder une légitimité vis à vis des nouveaux responsables. En tout état de cause, la perspective d’un nouveau contrôle politique des services de renseignements est ouverte et tend à renforcer l’Etat de droit.

La nouvelle coalition gouvernementale est d’emblée mise à l’épreuve par l’arrestation de Karadžić. La politique du Parti socialiste à l’égard du TPIY était jusque là de coopération dans la seule mesure de réditions volontaires des inculpés. Le leader du parti, nouveau premier vice-Premier ministre et Ministre de l’intérieur, Ivica Dačić s’est empressé d’affirmer que ses services n’étaient pas responsables de l’interpellation (ce qui indique l’action du BIA lequel relève directement du Gouvernement et non plus du Ministère de l’intérieur, cependant la filature semble avoir débuté il y a plus d’un mois et mobilisé des policiers). Le Parti socialiste est fustigé par les militants radicaux, ses alliés d’hier. Il n’en réaffirme pas moins sa « solidarité gouvernementale ».

Une fronde limitée.

Menées instantanément par le groupe marginal d’activistes d’extrême droite Obraz, les protestations contre l’arrestation sont d’ampleur limitée. Le jeune leader radical Vučić a rejoint les protestataires dans la rue, les a appelé au calme avant de promettre de nouvelles manifestations d’ampleur. Selon lui : « la Serbie disparaît lentement mais sûrement ». Quelques violences et saccages ont eu lieu au centre ville.

Les autres leaders de la nouvelle opposition, dont l’ex-Premier ministre Koštunica, se gardent encore de jeter de l’huile sur le jeu, tout en rappelant les raisons de la défiance assez partagée des Serbes à l’égard du TPIY (libérations du Kosovar Haradinaj et du Bosniaque Orić dont les crimes personnels contre des Serbes semblent ne pas faire de doutes).

L’annonce d’une nécessaire arrestation prochaine de Ratko Mladić paraît intégrée au delà des cercles nationalistes. Les constats d’une volonté politique forte, d’une réaffirmation de l’autorité de l’Etat (motif d’estime publique dans une large part de la société politique serbe) en lien avec la perspective d’intégration européenne accélérée sont largement partagés et placent Tadić et le gouvernement Cvetković dans une dynamique favorable.

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