Armement de la police municipale ? Notre sécurité quotidienne mérite mieux qu’un débat caricatural

L’armement de la police municipale est en passe de devenir la norme : c’est d’abord le signe d’un désengagement de l’État de l’une de ses principales missions régaliennes; c’est aussi engager des fonctionnaires municipaux dans des missions pour lesquelles ils n’ont ni la vocation ni la préparation. Par contre la police municipale a un rôle essentiel et spécifique à jouer: être un lien avec la population, un lien entre les habitants et les élus ,les administrations y compris la police d’État.

L’armement de la police municipale auparavant vu comme le signe d’une dérive autoritaire d’un maire, devient de plus en plus la norme. Ceux qui s’opposent à ce glissement sécuritaire sont sommés de s’adapter à la nouvelle pensée unique sous peine d’être qualifiés d’utopistes angéliques déconnectés des réalités. Étant opposés à ce dévoiement nous allons chercher à montrer en quoi cette évolution est dangereuse, inefficace et signe d’une hystérisation du débat public sur la question de la sécurité.

Tout d’abord il faut partir du cadre juridique. Le code de la sécurité intérieure régit les missions des agents et l’organisation des services de la police municipale et à ce titre il réglemente les conditions de port d’armes. Ainsi il y était précisé que le principe de base était l’absence d’armement de ces agents.

Néanmoins le code prévoie une exception : l’armement  peut  se justifier « lorsque la nature de leurs interventions et les circons- tances le justifient». La vague d’attentats de 2015 sera considérée par beaucoup comme une « circonstance » justifiant l’armement.

Depuis 2015, les gouvernements successifs ont favorisé la montée en gamme des missions de la police municipale avec un armement létal dans l’optique d’en faire une auxiliaire des services de lutte anti-terroriste. Ainsi les différentes réformes du code de sécurité intérieure, ont laissée aux édiles locaux une plus grande latitude dans les missions de police locale afin de favoriser leur armement.

Ainsi sur les 22 000 policiers municipaux, 12000 sont équipés d’arme à feu : chiffre en nette augmentation depuis les attaques terroristes. Même dans les villes ayant refusé cette escalade l’ac- quisition de tasers et autres outils de répression répond à cette logique. Or, il ne faut jamais l’oublier le TASER blesse et tue. Les Nations Unies ont estimé que son usage constituait une forme de torture pouvant aller jusqu’à provoquer la mort dans certains cas (en 1 ans, 500 personnes sont décédées aux États-Unis, selon les chiffres collectés par Amnesty International).

Ceux qui mettent en avant l’armement de la police municipale occultent un fait massif: le désengagement de l’État sur la question de la sécurité en lien avec les politiques austéritaires qui réduisent la capacité d’action des services publics. Favoriser les polices municipales, permet de compenser la réduction des effectifs de la police nationale. Avec cette délégation des missions aux forces de sécurité locales, on prend le risque d’avoir une politique de tran- quillité publique à deux vitesses : des territoires riches qui peuvent se doter de moyens policiers adéquats et des territoires délaissés où la République disparaît et avec elle la tranquillité publique. Cer- tains vont même jusqu’à proposer d’armer des services de sécurité privée au prétexte que ceux-ci garantissent déjà la sécurité d’un nombre grandissant d’événements…

Or, pour nous, le rôle de l’État est de maintenir l’égalité républicaine sur l’ensemble du territoire. Mettre en place une véritable police nationale avec une politique cohérente sur l’ensemble du territoire permettra de lutter efficacement contre la délinquance, les trafics et le grand banditisme qui gangrènent nos quartiers populaires.

La véritable question est donc la suivante: un armement de la police municipale permettra-t-il de lutter contre la délinquance ou le terrorisme, avec la même efficacité dans toutes les villes ? Tout d’abord, la question du terrorisme. On met souvent en avant l’intervention courageuse d’un commissaire au Bataclan qui permit d’éviter une tragédie encore plus grande. Néanmoins, cela reste une exception qui cache les limites de l’action des policiers. Dans le cas de Charlie Hebdo, du Bataclan, ou des récentes fusillades à Vienne, les armes des policiers non spécialisés (armes de poing de 9 mm) n’ont pas permis de faire cesser les massacres. Cet armement relativement « léger » ne leur permettait pas de lutter contre les fusils d’assaut des terroristes. Il a fallu l’intervention de services spécialisés dans ce genre d’interventions et capables d’opposer une puissance de feu au moins égale pour mettre fin aux massacres. Ainsi demander à des policiers, avec un armement « léger », d’intervenir dans une situation d’attaque serait inefficace et même dangereux puisqu’on demandera aux policiers d’accomplir une mis- sion pour laquelle ils ne sont pas convenablement équipés.

Dès lors, si les policiers municipaux devaient lutter contre le terrorisme, ne faudrait-il pas alors se questionner sur la nécessité de les équiper d’armes de guerre ? Serons-nous prêts à assumer d’éventuelles victimes collatérales? Voulons-nous courir ce risque, impossible à écarter, pour un dispositif à l’efficacité toute relative ?

Par ailleurs, il faudrait également s’interroger sur le rôle que l’on pourrait donner à cette police. S’il est nécessaire de compléter la police nationale par une municipale, alors il faut définir claire- ment ses missions, qui ne devront pas entrer en concurrence avec celle d’autres forces de sécurité. La police municipale doit être un plus et apporter quelque chose de différent. Elle doit devenir une entité autonome, qui ne cherche pas à se légitimer en mimant la police nationale. Elle doit être la police de proximité par excellence dont les missions sont le contact et le dialogue avec la population et la prévention particulièrement en direction de la jeunesse. On doit être dans une véritable politique de tranquillité publique cher- chant l’apaisement de la société.

On peut s’inspirer de modèles de sécurité venant d’autres pays comparables. Un des meilleurs exemples de cette vision d’une police inclue dans la société et non en opposition avec celle-ci, est fournie par les Bobbies britanniques. Ces policiers non armés sont un des symboles du Royaume-Uni et de sa stratégie particulière de tranquillité publique. Les villes sont divisées par quartier avec pour chacun des agents dédiés. Le travail repose sur des officiers réfé- rents, agissant sur des zones restreintes et bien définies, ce qui leur permet d’établir un lien avec la population. Ce travail de long terme permet d’établir une relation de confiance, et fait de la police un interlocuteur crédible pour les habitants, par un dialogue constant qui intègre pleinement les officiers référents comme des acteurs du quartier. À ce dispositif est ajouté un corps de médiateurs en lien avec la police qui cherche à prévenir les problèmes dans une optique d’apaisement. Ce modèle rend possible un véritable apaisement et atténue la défiance entre citoyens et policiers qui mine notre pays.

Un autre exemple emblématique est celui de la ville de Chicago aux États-Unis. Minée par la délinquance, la ville a joué la carte sécuritaire d’une police quasi-militarisée. Cette solution n’a pas eu d’effets notables sur la tranquillité des habitants. À partir des années 1990, la mairie lance un programme, « Chicago Alterna- tive PolicingStrategy » (CAPS). L'idée est la suivante : on ne pourra pas obtenir de résultats en matière d'insécurité et d'incivilité sans l'implication des habitants. La police de Chicago a donc vu son activité réorientée : il ne s'agit plus seulement de répondre aux appels, d'enquêter et de circuler pour prévenir. La police devait organiser régulièrement des réunions de secteurs où les habitants sont conviés, autour d'un café. Il s'agit de parler des difficultés du quartier, telles que les habitants les identifient. La réunion n'a pas lieu au commissariat, mais dans des écoles, des parcs, etc., jugés plus « neutres ». On peut y participer par Skype. Auparavant, la discussion avec la police n'avait lieu qu'au commissariat, lieu où l'on ne se sent pas forcément très à l'aise, et elle avait lieu bien en aval par exemple lors du dépôt de plainte, c'est-à-dire trop tard, quand le mal était fait. L'objectif premier de ces réunions est de rétablir une relation de confiance entre police et habitants. Mais des informations s'échangent aussi. Les habitants ont une connaissance de leur quartier bien supérieure à celle de n’importe quelle administration. Les policiers dressent aussi un tableau de leur activité. Pour répondre aux préoccupations des habitants, la police renforce ses liens avec d'autres acteurs (logement, santé, etc.). La mairie propose des stages de formation aux policiers et aux habitants en matière juridique par exemple…

On le voit à travers ces exemples, ce n’est que par le dialogue avec les populations que les forces de sécurité peuvent agir sur le terrain en prévenant de manière efficace les crimes et délits. Les bons résultats de ces politiques montrent leur efficacité et devraient inciter les décideurs publics à s’en inspirer.

Pour terminer, l’idée d’un toujours plus sécuritaire permettant de lutter contre la délinquance se heurte très rapidement à un principe de réalité ; la répression n’atteint jamais les causes de ce phénomène social. Une véritable politique de sécurité, se doit de réduire la violence dans la société en pratiquant une politique d’apaisement. Le trio prévention-répression-réinsertion base de toute politique réussie de sécurité, montre la nécessité d’une réflexion globale qui ne doit pas se limiter à un débat caricatural sur l’armement.

LA SÉCURITÉ DE TOUTES ET TOUS MÉRITE MIEUX QUE CELA.

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