« Anticipons-le ! »

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Le REGRES (Réseau Élémentaire Groupant des Résistances Essentielles à notre Survie) offre la possibilité de s'exprimer, à l'occasion de la loi dite "Sécurité globale" et des mobilisations qui l'entourent, à un "détachement Winston Tuttle". Il y est question du contexte dans lequel cette loi, aussi abjecte soit-elle, fait l'actualité et soumet quelques pistes de réflexion quant à la place des "nouvelles technologies" dans notre quotidien -important sujet de préoccupation du REGRES- et pas seulement dans notre rapport aux forces supposées de l'ordre et à l'État. Si le détachement Winston Tuttle ne l'a pas fait, on peut aussi s'interroger sur les motifs, similitudes et différences de défendre la "Liberté de..." et la "Liberté de ne pas...".

Enfin, il est rappelé que la diffusion du texte via internet est à limiter mais sa distribution sur papier est encouragée, auquel cas il faut rappeler de ne pas le jeter sur la voie publique.

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ANTICIPONS-LE !

« La tendance moderne à traduire toute idée en action, ou en abstention active de toute action, présente l’un des symptômes de la présente crise culturelle. L’action pour l’action n’est en aucune manière supérieure à la pensée pour la pensée, elle lui est peut-être même inférieure. »

Max HORKHEIMER, Éclipse de la raison, Payot, 1974, p. 10.

Depuis bien plus d’une décennie, des collectifs techno-critiques comme Souriez Vous Êtes Filmés, Oblomoff ou Pièces-et-Main d’Oeuvre n’ont cessé de s’inquiéter et de dénoncer le déploiement des « outils numériques », tout à la fois mouchards en puissance et gadgets introduits dans l’espace public tout en perturbant la vie privée. Entités désormais confondues en une seule et même géographie, suite à l’extension sans limite de la cybernétique. Et à cause de notre trop banale veulerie collective.

Pour qui aurait la mémoire courte vis-à-vis de la déferlante technologique que nous avons subi depuis le tournant du siècle, une liste non exhaustive offrira au choix : des radars automatiques au bord des routes et le puçage du bétail dans les prés ; des caméras de vidéo –surveillance, –protection ou –vigilance au coin de la rue -y compris de simples villages- et des puces RFID dans les livres de la bibliothèque ; des dispositifs antivols dans les magasins et des scanners dans les aéroports ; des digicodes et systèmes de reconnaissance digitale à l’entrée des entreprises et de quoi payer sans contact à la boulangerie ; des téléphones portables (puis smartphones) à la main, de la porte d’entrée jusque dans la salle-de-bain du logement, en évitant Linky qui s’est invité dans le couloir. Déjà la commande vocale à l’intérieur et bientôt la reconnaissance faciale à l’extérieur. Sans oublier des drones partout. En attendant de pouvoir connecter tout ceci à la smart-city à travers la 5G, si prometteuse en débouchés et en emplois, arguments ultimes pour lesquels le dernier des syndicalistes réformistes étranglera, avec le cordon de son ipod, le dernier des chômeurs heureux.

Petit-à-petit, nos vies -au point d’être présentement assistées par ordinateur en intégralité- ont été envahies par cette myriade d’ustensiles au service du capitalisme, souvent sans le consentement de la population, mais avec l’approbation des élus. Ustensiles aussi approuvés par la CNIL(1), qui rime très facilement avec « docile » lorsqu’elle doit se prononcer, avec le soutien des associations de défense des consommateurs.

Il a fallu que la loi dite de « Sécurité globale », proposée crapuleusement lors d’un judicieux et opportun second confinement par deux députés LREM -dont un ancien chef du RAID, officine étatique reconnue pour sa violence-, pour que les « alternatifs », le monde associatif (ou ce qu’il en reste) et ce qui se prétend encore être « de gôche » -d’ATTAC à la Libre Pensée, de la CGT à la LDH, en passant par le NPA, le casting semble être parfait- sortent de leur torpeur post-Hollandienne commune. Eux qui, très majoritairement, pensaient que seuls les usages dont on fait de ces instruments déterminent la façon dont ils influent sur le monde et sur ses habitants, qu’ils soient citoyennistes ou non. Comme s’il pouvait y avoir de bons usages d’un appareil ayant -dès sa conception- comme fonctions celles d’un auxiliaire de Police. On peut toujours demander l’abolition de celle-ci tant qu’il y aura des ingénieurs, diplômés d’État et grassement rémunérés, employant tous leurs talents pour concevoir des outils s’y substituant...

Il y a peu de temps, ces organisations ont appelé à une sempiternelle « descente dans la rue » sans avoir vu venir le coup. Et sans qu’un mot d’ordre ne soit vraiment radical. Toujours contre. Ça rassure. Jamais sans. Car ça inquiète ?

On pourrait très bien être cynique en avançant « qu’on l’avait bien dit » et que « c’est tant pis pour eux ». Plus stoïquement, on trouvera bien malheureux que ce ne sont pas des rondes effectuées en place publique qui inverseront la tendance et que l’affaire est sans doute pliée en faveur du Pouvoir, celui de Macron ou d’un autre prétendant obligatoirement progressiste, artifice de circonstance au service du monde-machine capitaliste, aujourd’hui ou demain.

Avant de conclure, on peut politiquement s’étonner de ne voir fleurir presque nulle part des appels à résilier son abonnement internet et/ou de téléphone portable, segments qui sont pourtant devenus le cœur du Capital en moins de vingt ans(2) : élaborer un commerce autour de l’émission d’ondes, de l’échange de données et de paroles (souvent en l’air). Bref, faire du fric avec du vent.

Humainement, enfin, il devient hélas trop aisé d’imaginer ce que sera notre futur, usurpé, emporté par le tourbillon du progrès, dès après-demain : un resserrement encore accru du contrôle par l’État de chacun des aspects de notre survie. Vaille que vaille et avec les moyens du bord : anticipons-le !

Détachement Winston Tuttle, toute fin novembre 2020.

Notes :

1: Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés.
2: En l’an 2000, la capitalisation boursière mondiale des plus grandes firmes axées autour des nouvelles technologies se limitait à 300 milliards de dollars. Fin 2019, elle culminait, loin devant les secteurs de la banque et des hydrocarbures, à près de 6 000 milliards de dollars, soit vingt fois plus… Ceci avant la grande offensive numérique liée aux confinements pendant l’épidémie de coronavirus en 2020. Source : Cédric DURAND, Techno-féodalisme. Critique de l’économie numérique, Zones, 2020, p. 73-74.

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