A l’avenir les terres cultivables suffiront-elles à nourrir l’humanité dans le futur ?

A présent, de nombreuses grandes marques, telles Harry’s dans son pain de mie, ou Nestlé dans ses chocolats tentent de ne plus utiliser d’huile de palme dans leurs aliments, afin d’être encore acheté par les consommateurs sensibles aux questions écologistes. Sous la pression de Greenpeace notamment, en 2010, l’entreprise Nestlé s’est engagée à produire sans contribuer à la déforestation en 2020. Car l’huile de palme contribue à la baisse de la biodiversité, à la déforestation, donc au réchauffement climatique. De plus, l’huile de palme entre en concurrence avec les terres cultivables pour l’alimentation des populations locales.

Reste-il assez de terres cultivables à l’échelle mondiale actuellement et leur quantité sera-elle suffisante pour nourrir l’humanité, si elle s’accroit jusqu’à 10 milliards d’êtres humains en 2100 ? Pour répondre à cette question, cela suppose de prendre compte, de nombreux facteurs : la qualité agricole des sols, les capacités d’irrigation, le niveau du réchauffement climatique, la montée du niveau des mers... Certains chercheurs, tel l’agronome Marc Dufumier considèrent qu’il est possible de nourrir l’humanité en changeant le mode de culture, c’est à dire en développement notamment la permaculture, l’agroécologie, l’agroforesterie... Il estime que « l’agroécologie peut parfaitement nourrir 10 milliards d’humains »[1]. Or, c’est le nombre d’humains qui devraient vivre sur la terre à la fin du XXIe siècle selon les prévisions des démographes de l’ONU. Cependant, l’agronome Marc Dufumier, ne prend pas en compte, le réchauffement climatique dans ses prospectives.

Laurence Roudart, professeur de Développement agricole fait des prévisions relativement comparables à celle de Dufumier, mais sans prendre en compte uniquement, la méthode de l’agroécologie. Dans cette perspective, elle envisage trois hypothèses. « Dans la première hypothèse, très restrictive, les terres « peu convenables » sont supposées être non cultivées. Dans la deuxième hypothèse, moins restrictive, en plus des précédentes, les terres « peu convenables » sont considérées comme pouvant entremises en culture, à l’exclusion de celles qui sont sous forêt. Dans la troisième hypothèse, moins restrictive encore, en plus des précédentes, toutes les terres cultivables sous forêt sont vues comme pouvant entremises en culture aussi, ce qui correspond au tiers des forêts du monde : les deux tiers de celles-ci resteraient donc debout. Les calculs indiquent que dans la première hypothèse, l’extension delà superficie cultivée mondiale par rapport à l’année 2005 pourrait être d’environ 1 000 millions d’hectares, ce qui reviendrait à la multiplier par 1,7. Selon la deuxième hypothèse, cette superficie pourrait être accrue d’environ 1 450 millions d’hectares, soit une multiplication par presque 2 (toujours sans toucher aux forêts). Selon la troisième hypothèse, elle pourrait augmenter d’à peu près 2350 millions d’hectares, soit une multiplication par 2,53 ».

Les bases GAEZ et SAGE envisagent les évolutions possibles de la superficie et de la localisation de terres cultivables en fonction de différents scénarios de changement climatique. Selon l’étude GAEZ, tous les scénarios conduiraient a une extension faible (de 1% à 6%) des superficies cultivables en céréales à l’échelle du monde. Mais, dans les pays en développement, la superficie cultivable diminuerait, de 1,3 % à 11 % selon les scénarios, tandis qu’elle augmenterait notablement, de 11 % à 25 %, dans les pays développés. Le développement de l’irrigation permettrait d’étendre les superficies convenables à la culture de céréales de 8 % dans le monde, 13 % dans les pays développés et 7 % dans les pays en développement. Cependant, les possibilités d’extension seraient supérieures à 25 % en Asie centrale et au Moyen-Orient notamment, là où justement les marges d’extension de la culture pluviale paraissent inexistantes. L’étude Laurence Roudart, du SAGE et du GAEZ s’avèrent donc assez optimiste sur les possibilités d’extension des surfaces agricoles dans le monde[2].

Cependant, pour d’autres chercheurs, tel que Gaël Giraud, chercheur au CNRS et chef économiste de l’Agence Française du développement, les prédictions catastrophiques du club de Rome sont en train de se réaliser[3]. Les chercheurs les plus pessimistes (ou les plus réalistes) considèrent que même si l’on parvient à accroitre un peu les surfaces agricoles, il deviendra difficile de nourrir l’ensemble de l’humanité du fait de l’augmentation de la démographie mondiale et l’assèchement des terres du fait du réchauffement climatique, de la fin des ressources en phosphates, nécessaires à la production d’engrais. Or, la révolution verte, c’est à dire la croissance des rendements agricoles à été réussie grâce à l’augmentation des engrais chimiques à base de phosphates et d’azotes et par la mécanisation mue par l’énergie du pétrole. Cependant, les stocks de pétrole arrivent progressivement à leur limite, alors que la demande ne cesse d’augmenter.

Il y a donc de nombreux paramètres à prendre en compte, les choix de méthodes de production (manuelle ou industrielle), la qualité des sols à cultiver, le niveau de la croissance démographique, le niveau du réchauffement climatique, les capacités financières pour accroitre l’irrigation... Dans son modèle prospectif, le club de Rome estime qu’en prenant en compte tout ces paramètres, la production agricole ne sera pas suffisante et que cela génèrera baisse de la démographie mondiale à partir de 2030, du fait de la hausse de la mortalité causée par les famines.

Par conséquent, il est difficile de prévoir avec certitude le futur de l’humanité en matière agricole et alimentaire. Néanmoins, quel que soit notre futur, en vertu du principe de précaution, il parait utile et prudent de développer une gestion économe des terres, afin de les préserver, voire de reconquérir des espaces conquis par les villes.

La végétalisation urbaine peut être agricole ou forestière. Les parcs urbains se composent parfois d’arbustes, de grands arbres et de fleurs. Ils renforcent la beauté, l’harmonie, la qualité de vie et diminue le CO2 en ville. Le besoin de beauté est prodigué par la proximité avec les arbres et les fleurs, mais s’avère inutile à l’alimentation humaine ou animale. De surcroit, les arbres disposent d’une plus grande capacité à stocker le CO2. Dans cet optique, Thomas Crowther, chercheur à l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich (Suisse) a publié dans la revue Science un article dans lequel il propose de stopper le réchauffement climatique en plantant des arbres.  Il a calculé que "sans les humains, il y aurait 5 800 milliards d’arbres sur Terre. Il y en aurait partout. On a réduit ce nombre de moitié, donc il n’y a que 3 000 milliards d’arbres environ aujourd’hui". Cependant, aujourd’hui, on ne peut pas replanter 2 800 milliards d’arbres, "parce qu’il y a des terres occupées par l’agriculture ou par des zones urbaines", il reste toutefois assez de place, d’après le scientifique, pour ajouter quelques forêts sur Terre, équivalent à 1 200 milliards d’arbres[4]. Cela pourrait absorber une immense quantité de carbone et nous contribuer à régler le changement climatique. Cependant, si l’humanité continue sa croissance énergétique incessante, cela ne suffira pas. De plus, après quelques dizaines d’années, les arbres meurent, ils relâchent alors le carbone qu’ils avaient capté, dans l’atmosphère, lorsqu’ils se décomposent ou qu’on les brûlent. Ils doivent donc régulièrement être remplacé par de nouveaux.

Pour diminuer l’empreinte carbone, le développement de la végétation forestière s’avère plus efficace que la végétation agricole. Le reboisement s’avère bénéfique pour le climat, mais il entre aussi en concurrence avec les surfaces agricoles nécessaires à l’alimentation dont les besoins croissent avec l’augmentation rapide de la démographie. Il existe donc un choix à faire entre le développement agricole afin de nourrir l’humanité et l’accroissement des surfaces forestières, pour limiter la sécheresse agricole générée par le réchauffement climatique.

La déforestation s’explique par de nombreuses causes. C’est à la fois par l’expansion des zones urbaines, par le recherche de terres cultivables, par les incendies aggravés par le réchauffement climatiques, ou les incendies volontaires pour la culture sur brulis, ou pour accroitre les terres cultivables, ou encore pour créer des zones d’élevage...

Les grands incendies durant l’été 2019 en Amazonie, en Afrique du Sud et en Russie, proviennent à la fois du réchauffement climatique et des incendies volontaires, afin de reconquérir des terres. Ces incendies renforcent encore le réchauffement climatique, qui augmentent en retour le nombre des incendies. Ces derniers sont souvent aussi allumés par des êtres humains, soit pour de l’agriculture sur brulis pour les paysans pauvres, soit pour créer de nouvelles plantations (d’huile de palme ou autres) pour les grandes entreprises agricoles, donc les plus riches. L’huile de palme vient notamment remplir les moteurs des réservoirs dans les pays riches.

Or, il ne suffit pas de protester dans les pays riches, car ceux-ci ont déjà généralement “déforestés” leur pays depuis longtemps. Il faut réorganiser l’économie mondiale, la relocaliser de manière sociale, en diminuant la concurrence internationale néolibérale et en renforçant les solidarités économiques dans ces pays et entre les nations.

Lorsque les humains font le choix de l’agriculture, en défrichant les forêts, cela ne permet pas toujours de cultiver ensuite, car les sols ne sont pas toujours suffisamment fertiles dans les forêts. Pour cette raison, dans le cadre de la culture sur brulis, les paysans migrent rapidement, pour bruler d’autres forêts. La pratique de l’agriculture sur brulis est particulièrement développée en Amazonie. « Au bout de 3 à 5 ans, la fertilité est épuisée. Seule une faible part du carbone qui existait dans les arbres et la strate herbacée est transférée au sol, sous forme de charbon de bois (1,7 % de la biomasse forestière antérieurement présente, en zone tropicale). Le sol perd également rapidement une partie de ses minéraux, par lessivage et dénitrification, et de sa matière organique qui se minéralise ». La parcelle est alors abandonnée à la friche : l'abandon, permettant la régénération forestière, dure de 10 à 50 ans. Mais, si la rotation est plus courte alors, la reconstitution de la forêt n’est pas suffisante et le rendement diminue, car les sols sont moins fertiles[5]. En cas d'accroissement de la population, ou de la demande économique, ces systèmes de culture sur brulis peuvent entrer dans un cercle vicieux, qui va conduire à l’accroissement de la surface à bruler, afin d’accroitre l’espace à cultiver, pour compenser la baisse de rendement, etc.

La déforestation entraîne une baisse de la teneur du sol en matière organique, ainsi qu'une baisse de la quantité de nutriments restitués au sol lors du brûlis. Ceci génère une baisse de la fertilité du sol, qui sont soumis à l'érosion, liés à la pluies. La déforestation provoque également un assèchement du climat pouvant aller jusqu'à la désertification, par la diminution de l’évapotranspiration émis par les zones végétales. Ce mécanisme affecte les régions victimes de la déforestation mais également les régions éloignaient qui en bénéficiaient des pluies provenant de l'évapotranspiration forestière.

La déforestation est aussi effectuée afin d’agrandir les zones d’élevage. Selon la FAO, l’élevage produit seulement 18% des calories et 37% des protéines que nous consommons, mais mobilise 83% de l’espace agricole et 30% de la surface de la planète.  En Amazonie, 70 % des terres boisées ont disparu au profit de pâturages et une partie significative du reste des zones déforestées est occupée par la production fourragère, tel que les plantations de soja pour nourrir les animaux et que « près de 75 % du soja produit dans le monde est destiné à l’alimentation animale » [6]. Par conséquent, la diminution de la consommation de viande, libérerait des zones agricoles pour l’agriculture. Le passage au végétarisme par l’ensemble des humains libéreraient donc 83% des surfaces agricoles. Cependant, certains surfaces ne seraient pas cultivables. C’est par exemple le cas dans le désert de Gobi en Mongolie, ou l’herbe est présente mais très rases et éparses. Par conséquent, elle ne permet que de nourrir les chevaux et les chèvres, mais pas de le développement de l’agriculture... C’est ce qui faire dire à Paul Ariès, que le végétarisme intégral et plus encore le véganisme intégral pour l’ensemble de l’humanité, ne serait pas la politique la plus efficiente pour nourrir la planète, puisque certaines terres ne pourraient plus être utilisées pour l’agriculture[7]. Il parait donc plus rationnel d’accroitre le végétarisme et de laisser paitre les animaux producteurs de laits, telles les vaches ou les chèvres dans les zones herbeuses impropres à l’agriculture. Dans le cadre du régime végétarien, la consommation de laits et de fromage s’avère très complémentaire pour puiser les protéines des céréales, car sans produit laitier ou légumineuse, tel les lentilles, une partie des protéines végétales ne peuvent être assimilées par l’organisme humain. Néanmoins, dans les pays riches, un végan en consommant une plus grande quantité des céréales seules, parvient assimiler suffisamment de protéines[8].

 Le gouvernement français s’est engagé à « mettre un terme à la déforestation importée » dans son plan Climat publié par Nicolas Hulot en juillet 2017. Car ses conséquences ne se limitent pas à renforcer le réchauffement climatique. « La déforestation affecte la disponibilité et la qualité de certaines ressources naturelles essentielles à la subsistance (l’eau, les plantes médicinales, le gibier, le sol, etc.), génère des opportunités et des contraintes pour de nouvelles utilisations du sol (agriculture commerciale, élevage), induit des changements institutionnels aux niveaux local, national et mondial (tel que des mouvements indigènes de protection de la forêt, des politiques nationales d’incitation à une exploitation productive des zones déboisées, des conventions internationales pour la protection de la biodiversité), elle accroît la vulnérabilité des habitants des régions forestières (par exemple en affectant leur santé via l’introduction d’agents pathogènes) et elle donne lieu à des changements sociaux notamment par une différenciation accrue des revenus (entre propriétaires terriens et ouvriers agricoles) et une augmentation de la complexité sociale (suite à des interactions croissantes entre les populations urbaines et rurales) »[9].

Il y a donc des choix à faire entre l’agriculture et le développement des forêts, entre alimentation et climat. Cependant, si le climat se réchauffe trop, l’agriculture subira la sécheresse et l’alimentation diminuera. C’est donc une boucle de rétroaction dont le point d’équilibre reste difficile à maitriser et cela encore plus à l’échelle mondiale.


[1] DUFUMIER Marc, Famine au Sud, malbouffe au Nord, NIL Éditions, 2012.

[2] ROUDART Laurence, Terres cultivables non cultivées : des disponibilités suffisantes pour la sécurité alimentaire durable de l’humanité, Analyse, Centre d’étude et de prospective, mai 2010, n°18.

[3] GIRAUD Gaël, Interview à l’AFD, le 7 juillet 2016, http://www.dailymotion.com/video/x4jv8tb

[4] CROWTHER W. Thomas & Co., “The global tree restoration potential”,365 (6448): 76 DOI: 10.1126, Science, juillet 2019.

[5] FEARNSIDE PM, Lima PM, GRAÇA A, RODRIGUES FJA (2001) Burning of Amazonian rainforest: burning eYciency and charcoal formation in forest cleared for cattle pasture near Manaus, Brazil. For Ecol Manage 146:115– 128

[6] FAO, Ackling climate change through livestock, Food and agriculture organization oF the united nationsrome, 2013.

[7] ARIES Paul, Lettre ouverte aux mangeurs de viandes qui souhaitent le rester sans culpabiliser, Éditions Larousse, 2018.

[8] WHO, Protein and amino acid requirements in human nutrition, Report of a joint WHO/FaO/uNu expert Consultation, WHO technical report series n°935, 2007.

[9] SCOUVART Marie, LAMBIN Éric F., Approche systémique des causes de la déforestation en Amazonie brésilienne : syndromes, synergies et rétroactions, L’Espace géographique 2006/3 (Tome 35), p. 241-254.

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