Les Gens du voyage de la Malcombe au-delà des clichés

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Au cours de l’été 2015, une bousculade entre le maire de Thise – une commune de l’agglomération de Besançon – et des gens du voyage éclata. Les élus s’indignèrent et une manifestation fut organisée. On vit des élus de gauche bisontins défiler derrière une banderole proclamant : «Invasion des gens du voyage: ça suffit». Celle-ci provoqua un certain émoi chez les militants antiracistes et révolta Remy Vienot, président de l’association Espoir et Fraternité Tsigane. Si les élus de Besançon contournèrent le problème en prétendant ne pas avoir lu la banderole qu’ils tenaient, cet évènement témoigne du rejet dont souffre cette population.

Suite à cet incident, il fut proposé à un groupe d’étudiants de l’Institut régional du travail social de Besançon de mener une enquête sur la stigmatisation des gens du voyage (1). Ce travail fut facilité d’une part par la volonté de Rémy Vienot de faire connaître les personnes issues de sa communauté, et d’autre part par la localisation de l’école située à proximité d’une aire d’accueil – l’IRTS se situe à Planoise, un quartier populaire de Besançon où se trouve l’aire de la Malcombe. Ainsi, ils purent non seulement rencontrer plusieurs familles mais également élargir leur enquête auprès de divers autres intervenants (instituteurs, policiers, militants associatifs). Au final, les étudiants firent onze entretiens semi-directifs et administrèrent un questionnaire auprès de cent riverains.

Rencontrer l’autre pour en faire un des nôtres

Comme on pouvait s’y attendre, la rencontre avec les habitants de l’aire de la Malcombe a permis de lever la plupart des clichés dont ils sont victimes. C’est d’ailleurs ce que l’on attend d’un travail de recherche. Selon le sociologue Emile Durkheim (1858-1917), dépasser les préjugés est l’objectif de tout travail scientifique car « s’il existe une science des sociétés, il faut bien s’attendre à ce qu’elle ne consiste pas dans une simple paraphrase des préjugés traditionnels, mais nous fasse voir les choses autrement qu’elles n’apparaissent au vulgaire ; car l’objet de toute science est de faire des découvertes, et toute découverte déconcerte plus ou moins les idées reçues » (2).

Ainsi les étudiants ont pu mesurer l’intérêt d’une telle démarche. Ils notent dans leur conclusion «nous avons pu déconstruire nos représentations en nous appuyant sur la réalité du terrain. En effet, celles-ci pouvaient être influencées par l’image véhiculée par les médias, ce qui comprenait entre autre le vol et la violence». Et la «réalité» peut se montrer déconcertante…Contrairement à ce que pensent la plupart des gens, les habitants de la Malcombe sont majoritairement sédentaires (3) et occupent une activité professionnelle en tant qu’autoentrepreneur. Hélas, en raison de la stigmatisation dont ils souffrent, ils cachent, bien souvent, leur origine, à leurs clients.

Tout cela confirme l’intérêt du travail mené par des associations comme Espoirs et Fraternité Tsigane qui œuvrent à lever les malentendus et les craintes en faisant se rencontrer deux mondes qui s’ignorent. D’autant qu’aux personnes de bonnes volonté tout est possible… Les futurs travailleurs sociaux indiquent que les gens du gens du voyage «se sont montrés accueillants et collaboratifs. » Et dès lors il devient envisageable de faire de l’autre un des nôtres quand on a pu mesurer à quel point il nous était proche.

Le calme sans la tempête

Les résultats les plus inattendus provinrent de l’enquête menée auprès des habitants du quartier. Ces derniers méconnaissent la réalité de vie des gens du voyage et se réfèrent aux stéréotypes véhiculés par les médias, ce qui s’explique par le fait qu’ils n’échangent pas avec eux. Pour autant, la plupart des riverains reconnaissent n’avoir aucun grief contre cette population. Les problèmes existent mais sont de faibles intensités. Ainsi seulement 9 % des personnes interrogées déclarent avoir eu personnellement un problème avec des gens du voyage et 8 % indiquent se sentir en insécurité. 

Ces résultats sont corroborés par le policier interviewé  qui reconnaît que lui et ses collègues n’interviennent quasiment jamais à la Malcombe, montrant par là-même que la cohabitation se déroule pour le mieux. Il précise même avoir de « très bons rapports » avec les familles et parle d'un « lien de confiance ». Les autres entretiens conduits avec ceux qui travaillent auprès des habitants de l’aire traduisent un même climat apaisé. Ainsi le gardien indique, lui aussi, avoir de bonnes relations et précise « on peut parler de tout et de rien. On voit toute l'année les mêmes familles alors on se connaît bien puisque la plupart sont des sédentaires ».

Même tonalité chez l’instituteur, la représentante du Grand Besançon, etc. Sans idéalisation excessive, il est à noter que les gens du voyage se trouvant à Planoise ne posent guère plus de problèmes que n’importe quelle autre population. Mais les effets de la méconnaissance sont les plus forts et les étudiants notent que malgré « des relations globalement non conflictuelles avec les riverains et les professionnels, les gens du voyage de l'aire de la Malcombe conservent un sentiment de stigmatisation et de discrimination. »

A bien y réfléchir, ces résultats ne sont pas si étonnants que ça… Dans une période où l’on se focalise sur la question des gens du voyage, les habitants de Besançon peuvent constater que l’on entend peu parler de l’aire de la Malcombe. Ce silence est paradoxalement un inconvénient pour les gens du voyage car il entraine une invisibilité. On ne s’intéresse au calme que s'il présage la tempête.

La difficulté est bien là, les journalistes dans leur recherche de l’exceptionnel ne traitent bien souvent que des aspects négatifs et sont incapables de rendre compte de l’ordinaire, surtout quand celui-ci n’est pas conflictuel. Ainsi, ils offrent, malgré eux, un regard biaisé sur la réalité en ne laissant émerger que les problèmes, passant sous silence de multiples situations où les choses se déroulent convenablement. Cette question n’est pas anodine tant on sait que face à une réalité qu’ils méconnaissent, les gens se réfèrent à ce qu’ils lisent ou entendent dans les médias. Il ne s’agit pas ici de nier que, parfois, il puisse y avoir des difficultés, mais de rappeler qu’on ne parle bien souvent que de celles-ci et jamais des cas – nombreux – où les choses se déroulent convenablement.

 Martial  Cavatz

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 (1)  Marie Eid, Sara Lapize de Salée, Malorie Lopvet, Sandra Orru, Dragana Pétrovic, Hélène Peyrard, Victoria Picquerey, Loriane Piros, Maeva Tournier, Thomas Tournu, Tiffany Zanini : La stigmatisation des gens du voyage, Etude de milieu, IRTS de Franche-Comté. Cet article ne rend pas compte de tous les aspects développés dans ce mémoire.

(2) Émile Durkheim, Les règles de la méthode sociologique, Flammarion, « Champs », 2010 [1ère édition 1895], p.67.

(3) Une étudiante assistante de service sociale a travaillé sur cette question pour son mémoire de fin d’études (Sara Azza Frisa : La sédentarisation des gens du voyage : un paradoxe culturel, Diplôme d'assistant de service social, IRTS de Franche-Comté, 2015). 

Commentaires

  • Ça fait du bien de voir des scientifiques démontrer que la presse ne parle que des catastrophes et des choses qui vont mal. Je viens de m’abonner à Factuel pour entendre un autre discours, une autre presse, et dire  qu’il fait bon vivre ici, même et surtout quand l’hiver est un véritable hiver bien d’chez nous.

  • Les médias ont certes ce

    Les médias ont certes ce regrettable travers de  la recherche de l’exceptionnel qui ne traite bien souvent que des aspects négatifs et se retrouve en conséquence incapables de rendre compte de l’ordinaire, surtout quand celui-ci n’est pas conflictuel. Mais je trouve bien pire, et particulièrement abject, que des élus de la République, sensés défendre la démocratie et la loi, dénigrent et portent volontairement l’opprobre sur des concitoyens qui ne sont ni mieux ni pire que les autres. Ces élus là devraient être immédiatement démis de leur fonction et punis sévèrement.

    Daniel LEDUC

    Président de l’Association de Solidarité Avec les Gens du Voyage de Normandie *

    7, rue du Pommerel – 27350 BRESTOT

    * association membre de la FNASAT


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