Bol d’R à Besançon : le droit à la dignité et à la vie privée face au droit de propriété

Les avocats de la Saiemb-Logement et de Sol-Mi-Ré ont enfin plaidé devant le tribunal de grande instance de Besançon où le bailleur social dépendant de la ville demandait l'expulsion de l'association qui a ouvert un accueil de jour pour migrants. Le jugement a été mis en délibéré au 27 mars.

Me Fabien Stucklé, l'avocat de Sol-Mi-Ré, et Noëlle Ledeur, au sortir de l'audience. (Photos Daniel Bordur)

Il aura fallu attendre la cinquième audience devant le tribunal de grande instance de Besançon, présidé par la juge Yolande Rognard, pour que soit plaidée, ce mardi 13 mars, la demande de référé-expulsion, déposée par la Saimb-Logement à l'encontre de l'association Sol-Mi-Ré. Me Thierry Chardonnens, l'avocat du bailleur social dépendant de la Ville, a brièvement argumenté en droit, refusant de « dévier sur d'autres domaines ».

Pour lui, les « voies de faits ayant conduit à l'accaparement et l'occupation illégale » du local commercial du 26, rue d'Arène, un ancien restaurant, sont « reconnues ». Il considère qu'un « trouble manifestement illicite est avéré et démontré ». Il réfute les arguments formels de Sol-Mi-Ré qui demande la nullité de l'assignation délivrée hors de son siège social : « celle-ci peut être délivrée à une personne morale en tout lieu où elle se trouve ». Il estime infondée la demande de traduction de l'assignation dans les langues des migrants recueillis par le Bol d'R : « on n'a pas à le faire s'agissant de sous-locataires ».

Le précédent locataire était parti en mars 2016...

Me Chardonnens se dit « pantois » de l'utilisation par l'association de « l'argument de nécessité invoqué [par Sol-Mi-Ré] en raison du non-respect de la circulaire gouvernementale du 12 septembre 2015, car l'Etat n'est pas partie prenante à la procédure qui n'existe qu'entre parties privées ». L'avocat de la Saiemb invoque enfin un nouvel élément : le précédent locataire, contre qui le bailleur avait obtenu le 14 novembre 2017 un jugement le condamnant à verser des loyers impayés (voir ici notre article du 27 février), a finalement quitté les lieux en mars 2016, ce qu'atteste un état des lieux de sortie fourni lundi à Me Stucklé, avocat de Sol-Mi-Ré. Me Chardonnens en conclut que sa demande d'indemnisation est légitime, mais il ne donne aucun chiffre. Il réclame l'expulsion « immédiate » du Bol d'R.

Fabien Stucklé parle d'emblée du contexte : « la solidarité a trouvé son expression par le collectif Sol-Mi-Ré qui a fait le constat de l'inefficacité de l'Etat à accueillir des demandeurs d'asile se retrouvant dans une situation ubuesque : entre le moment où ils ont obtenu un récépissé et le rendez-vous devant statuer sur leur demande, il y avait trois à quatre mois pendant lesquels ils ne sont personne. C'est pour ça qu'il y a des campements de fortune, parking d'Arène ou devant la préfecture... »

Le nœud gordien de l'affaire...

Il explique que l'action de Sol-Mi-Ré, créé le 5 mars 2017, est conforme à ses statuts indiquant « réfléchir à des solutions... C'est alors qu'ils se rendent compte de ce local vide, cela existe partout ailleurs en France, à l'exemple de Cédric Herrou dans la vallée de la Roya... Ce local, on s'y sent bien, il y a des jeux pour les enfants, des fauteuils, de quoi manger, se réchauffer, se laver, un soutien administratif... »

C'est à cet instant qu'il pose le nœud gordien de l'affaire : « d'un côté, il y a le droit de propriété, de l'autre le droit à la dignité et à la vie privée... La voie de faits n'est certes pas contestée, mais il n'y a jamais eu de débordement. Et cela fait du bien de voir que des personnes, des voisins, des commerçants, sont venus demander de quoi le Bol d'R avait besoin... Il y a deux lectures. L'une juridique, et le fond : le droit de propriété prime-t-il sur le droit à la dignité ? La Saiemb est pantoise ? Mais Sol-Mi-Ré a demandé un bail, on ne lui a pas donné la possibilité de régulariser... »

« Tout découle de la carence de l'Etat à qui il faudrait demander des comptes »

Ayant suscité une réflexion de philosophie du droit, usé de rhétorique, l'avocat conteste les arguments de forme de son confrère : « la Saiemb devait délivrer des assignations au siège social de Sol-Mi-Ré qu'elle connaissait. Elle devait les traduire à l'intention des demandeurs d'asile qui ne maîtrisent pas le français et sont concernés par votre décision ». Quant aux poursuites individuelles contre quatre militants (il en défend trois), il interroge : « Pourquoi condamner ces quatre personnes qui n'ont pas dépassé le mandat de Sol-Mi-Ré », une association « dont le but de l'action était de faire bouger les lignes ? »

Il insiste sur le fond : « l'impossibilité pour l'Etat de faire face à ses obligations. Sol-Mi-Ré se serait bien dispensé d'intervenir si les conditions d'accueil avaient été convenables. Tout découle de la carence de l'Etat à qui il faudrait demander des comptes en responsabilité, eu égard au code de l'action sociale... Sol-Mi-Ré revendique d'agir à la place de l'Etat. En occupant un local vacant, il n'a chassé personne... On nous dit : il y avait un préjudice car il y avait un locataire, ce qui a été plaidé avant, mais si on demande deux fois la même chose, c'est de l'escroquerie au jugement ! »

Des conventions internationales
qu'on « ne peut pas balayer »

Me Stucklé défend-il des principes humanitaires face au droit implacable ? Pas vraiment : « comment concilier droit de propriété et droit à la dignité et à la vie privée ? En appliquant la Convention européenne des droits de l'homme et la Convention internationale des droits de l'enfant qu'on ne peut pas balayer : ces valeurs sont supérieures au droit de propriété. C'est au juge de faire la balance entre ces deux droits antinomiques, faire un examen de proportionnalité, comme l'ont fait le tribunal d'instance de Montreuil ou la cour d'appel de Toulouse... »

Quant au trouble manifestement illicite dont parlait Me Chardonnens, il s'inscrit en faux : « l'accueil digne l'est-il ? Non, il ne peut pas y avoir d'expulsion sur ce motif... Et si vous deviez ordonner une expulsion, prononcez un délai... »

Il sera exaucé sur ce point, le jugement étant mis en délibéré au 27 mars.

Au sortir de l'audience, Noëlle Ledeur commente la situation : « des tribunaux ont rendu de nombreuses décisions où prime la dignité sur la propriété, mais la Saiemb ne veut pas entrer dans un autre droit que celui de la propriété... » Dehors, sous la pluie, plusieurs dizaines de personnes sont, une fois de plus, venues soutenir Sol-Mi-Ré...

 

 

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